Tu les as tout de suite remarqués.
D'abord tu ne les as pas vu, tu les as sentis.
Quelque part pas loin de toi
Lourds comme la mort.
Du parfum de la violence.
Ces yeux noirs.
L’envie de tuer est un cri silencieux
Qu’accompagne le vacarme muet du danger
Un regard dont l’éclat maléfique ne trompe guère.
Tout, parfois, se joue à une ombre au fond d’un regard au fond d’une pièce...
Deux yeux ennemis...
Puis tu as vu le sabre.
La tsuba
Grossièrement travaillée
Artificielle.
Tu as entendu qu’on peut juger un sabreur à la garde de son ken,
Que la qualité et l’attention portées à cette partie de l’arme
Témoigne du respect porté envers l’ennemi puisque c’est la dernière chose qu’il verra avant de mourir,
Et que le respect porté envers l’ennemi témoigne justement de la qualité de sa maîtrise des armes.
Donner la chance d’apprécier une ultime fois
La beauté d’un moment
Est une noble cause.
Mais ce battre n’a rien à voir.
Se battre consiste à lutter pour survivre et
Survivre revient à lâcher la bribe de la bête qui sommeille quelque part au fond du fond
Dans le calme de la coupe,
Dans la netteté du geste su,
Dans le dépouillement de la lame dans le geste.
La fureur canalisée
L’agressivité plutôt que la violence
La bête dressée
La bête domestiquée
Mais la bête quand même, attendant que son maître s’endorme pour finir de le dévorer.
Ta main descend sur la tsuka de ton sabre
Ton ennemi est un rocher qui n’a pas connu le diamant.
La main,
L’angle du poignet,
La main qui saisit la tsuka en son centre,
Le poignet trop fragile qui a du mal à soulever le poids de l’arme.
Ton adversaire tient son sabre d’une manière singulière.
Tu ne comprends pas.
L’évidence de sa vulnérabilité finit par en devenir suspecte.
Malgré toi,
Comme toujours,
Tu sens la peur mouiller tes mains
Un parfum,
Les fleurs de cerisiers sur les plis du vêtement,
Funeste
Le souvenir de l'odeur du sang,
Des images rapides qui se bousculent
La bête s’éveille doucement
L’éclat de la lame te remue, tu sens monter en toi l’afflux de sang
Tes doigts se resserrent autour de la tsuka
Contre la tsuba
Avant le prochain battement de ton cœur
Tout sera fini
La lame s’allume brille
Dans le parfum des fleurs
L’appel du fer aux corps chaud, le sang doit couler
Le sang va couler
L’ombre des yeux ennemis
File en toi
Irrigue ton sang
Cours dans ton cœur
Parcours ton corps
Cueille le bout de tes doigts et les poussent
A se préparer à sortir ton arme de son fourreau
La haine monte en toi
Puissante
Les coups du cœur contre ta poitrine
La forme de ton ennemi
Se découpant sur le fond flou
Inutile
Les plis du vêtement
Encore immaculée de son sang
Juste avant de sortir ton sabre
Pour accomplir un geste
Net
Précis
Parfait
Mortel
Censé couper le corps de la femme
Tu aperçois le visage
Celui d’une enfant
Le hobit
La tournure des hanches inoffensive
La tenue du sabre
Le spectre fantasmé de ton agresseur repasse sous tes yeux avant de disparaître
Tu regardes l’enfant en train de jouer
Ta main quitte la tsuka de ton katana
Tu observes du coin de l’œil la petite fille en train de prendre des postures de guerrier.
Aujourd’hui, alors que les crocs acérés de la bête ne déchirent la peau d’aucun enfant,
les dents de lait d’une petite fille mordillent timidement le corps furieux du monstre.