Ma visite, hier soir, à l’exposition
« l’âge d’or hollandais » à la Pinacothèque de Paris m’a donné envie d’écrire quelques mots à ce sujet.
Je n’en ai retenu que quatre tableaux : trois des cinq Rembrandt exposés (si je ne me trompe pas) et le seul Vermeer disponible (mais, vu le peu de tableau peints par Vermeer, ça reste équitable).
Black and White :
Autant dire tout de suite que l’expo tourne presqu’uniquement autour de la figure de Rembrandt. D’ailleurs les titres des encarts ne le cachent pas : des syntagmes hyperboliques tels que « plus grand artiste de tous les temps » et autres périphrases du genre fleurissent un peu partout sur les cimaises.
Toute la première partie de l’expo est, à mon goût, affligeante de médiocrité. On a qu’une envie, si ce n’est de rentrer chez soi, celle de se jeter sur les encarts, pour oublier un peu la laideur (je suis un peu dur) environnante. Heureusement, les organisateurs de l’exposition, très consciencieux, ont peinturluré de toutes sortes de mots (ou presque) des quantités impressionnantes de mur afin que le spectateur puisse trouver refuge parmi des suites infinissables de phrases dont la vacuité n’a rien à envier à celle d’un formulaire sans « méthode » (attention référence geek) et qui pourraient se résumer ainsi :
« Le XVIIème, c’est l’âge d’or hollandais, parce qu’il y a beaucoup de villes très proches et qu’elles sont très riches. Grâce à cette richesse a pu naître une classe bourgeoise, et la bourgeoisie c’est bien puisque c’est ça qui permet l’art et fait venir les artistes! Vive la bourgeoisie. »
Et de dresser un panorama de l’art bourgeois tout au long d'une quarantaine d’ « œuvres » toutes aussi ennuyeuses les unes que les autres.
J’avais trouvé l’affiche de l’exposition particulièrement mauvaise, mais je croyais qu’il s’agissait d’une erreur isolée, indépendante du contexte de l’évènement. Une affiche ratée, ce n’est pas rare ! Et celle-là, je la trouvais extrêmement pompeuse et vieillote. Mais en fait, non, que nenni, elle reflète très bien l’ambiance de l’expo.
Mais alors pourquoi parler d’une mauvaise expo ?!
C’est parce qu’elle n’est pas que mauvaise, et même, que ce mauvais s’avère en fait être redoutablement efficace…
Je m’explique : vous regardez ces vieilles croûtes (j’abuse fortement) depuis plus d’un bon quart d’heure, en vous demandant quand ça va s’arrêter, il fait chaud, vous commencez à conspuer le public qui n’a de cesse de toujours vouloir passer devant vous aux moments où vous essayez de vous concentrer pour trouver un peu d’intérêt aux horreurs accrochées partout autour de vous, vous en avez marre, vous allez partir à Beaubourg, quand soudain vous tombez sur quelque chose de complètement différent, une chose énorme, incroyable, invraisemblable, extra-terrestre, une véritable météorite qui vous retourne avec la douceur et l’ineluctable du nouvel anti-fading www.google.com (geek 2), qui vous remue comme si on triturait votre code source via firebug (geek 3), bref, vous frôlez la syncope et vous retrouver soudainement dans un autre univers complètement incroyable, certifié conforme par Salvador Dali lui-même (notes à l'appui) où les peintres ont du talent. Finis les aliens mal modélisés, désormais vous voilà débarqués dans un monde nouveau dont la profondeur et la capacité de pénétration vous émeuvent jusqu’au fond du fond.
C’est que vous avez vu Rembrandt !
Il aura fallu tout ça pour me donner un véritable choc esthétique vis à vis de cet artiste, je me souviens en demi teinte d’une visite de la salle Rembrandt à la Nationnal Gallery qui même si elle m’a ému, ne m’a pas non plus complètement retournée; là, hier soir, ça été le cas. C'est seulement maintenant que j'ai très envie de retourner à Londres pour revoir les autoportraits... car j’ai cru comprendre une chose...
Longtemps les paroles de François Cheng sur Rembrandt (et sur la peinture en général) sont restés dans un coin de ma mémoire, quelque chose comme « le seul peintre dont je respecte le travail sur la lumière, c’est Rembrandt car contrairement aux autres peintres il n’en fait pas un usage naïf » (le dit de Tianyi). Et longtemps, quand je regardais Calder, Miro ou Basquiat, elles n’avaient pas vraiment de sens. Ce n’est qu’en étant confronté pendant d’interminables minutes à des œuvres qui réussiraient à foutre le cafard à un personnage de Hayao Myazaki (même Totoro) que j’ai enfin pu comprendre (ou au moins ressentir quelque chose de fort concernant) la maturité de l’usage que Rembrandt fait de la lumière.
Ce n’est pas que tout est lumière, mais c’est que tout lui est, non pas assujetti, mais subordonné. Contrairement aux autres peintres flamands de la même époque, Rembrandt ne cherche pas à nous vanter le calme du calme! loin de la passion que la bourgeoisie éprouve pour le tautologique, il n’abuse pas du poids de lumières ô combien trop mortellement passives pour nous con-former dans un ruisseau boueux qui nous vieillit de cinquante ans à peine y a-t-on trempé le petit doigt de pied.
Rembrandt est sage et distant, certes, mais il l'est sans pour autant ennuyé.
Et s’il nous séduit, ce n’est pas par le génie fougueux qui échappe aux répliques made in Beaumarchais, ni par la passion dévorante émanant d’une symphonie de Mozart, mais bien plutôt par le déséquilibre calme - le fragile « non-geste »- que savent si bien provoquer les stabiles de Calder. (Mais je m’égare un peu car j’avoue avoir Vermeer dans ma tête.)
Je vous ai parlé de trois œuvres ayant retenu mon attention, revenons rapidement sur elles.
La toute première, celle qui m’a sorti de ma mauvaise humeur, imaginez : d’abord un plateau et sur ce plateau, la tête d’un homme beau. Au dessus de lui, un nez, invraisemblable et un couteau, des gens qui regardent derrière, je ne sais pas ce qu’ils pensent, il y a du flottement dans l’air, la femme à droite, ses gestes, la plus haute, elle est trop fière, on revient sur cette impression de flottement, on remarque alors quelque chose sur les joues du bourreau, le couteau, l’œil rougi, mais c’est qu’il pleure, et le regard de la vieille derrière, que dit-elle, ce doigt levé accusateur mais elle si pliée…tant de visages inconnus…Tout ça pendant que?
pendant que la danseuse Salomé jouit de sa récompense...
On est là face à cette scène et l'on pourrait s'appesantir longtemps sur de nombreux détails mais laissez moi me concentrer sur la lumière:
Que dit-elle ?
Eh bien j’ai envie de croire qu’elle ne dit rien. Plutôt que de vraiment accuser ou de béatifier, j’aime à penser qu’elle brille de la même façon pour la tête de Jean Baptiste que pour le visage de la danseuse, pourquoi? pour les rapprocher. Mais attention pas pour en faire des proches, non! Juste pour les livrer à la comparaison, les mettre sur le même plan. Libre au spectateur de faire de ce rapprochement ce qu'il lui plait (à partir du moment où c'est toléré par la loi voire même peut-être un peu plus s'il s'agit d'Hadopi).
Le visage à moitié effacé par l’obscur du bourreau renforce encore cet étrange tête à tête.
Renforce aussi je trouve un certain mystère qui rôde autour de ce personnage. N’est-ce pas l’ombre qui en rendant presqu’imperceptible le rouge de ses yeux le rend si humainement fragile ?
La lumière qui se pose sur la scène me parait pleine des questions que le peintre nous pose, un peu comme un photographe, il a recourt à elle pour nous communiquer ses doutes sur le lien qui l’unit à son tableau. Et c’est ce lien qui pour moi chez Rembrandt est si troublant.
Si l’on regarde très rapidement les deux autres tableaux, on peut retrouver le même type de jeu : que ce soit avec Saint Pierre qui trois fois renie Jésus ou avec le portrait du médecin. On y sent à la fois quelque chose comme de l’amour, dans cette lumière qui éclaire si doucement mais en même temps, une façon d’être, de se poser avec une telle sérénité, qu’il y a vraiment un travail incroyable sur la distance, comment se placer le plus justement possible?
Avec Saint Pierre, on retrouve tout ce jeu avec la main devant la bougie qui n’est pas sans flatter nos bas instincts avides de symboliques mais il y a tout de même que cette main canalise la lumière sur lui, l’empêche de s’évanouir et de n’être qu’un parmi les autres. C’est qu’elle enrobe, adoucit, met en valeur, comprend sans excuser et rend beau toute cette vulnérabilité qui fait l’homme. Il y a quelque chose de profondément Tarkovskien chez Rembrandt ! (comment ça l’inverse ?!)
Cette main qui entoure la flamme, la protège et oriente son éclat, c’est justement et aussi, celle du peintre qui joue avec ses propres étincelles.
J’aime voir chez Rembrandt ce profond respect, calme, il est vrai mais en même temps malicieux et incisif pour et par les secrets que ses ombres enferment. C’est un grand point d’interrogation qui vient nous frapper aussi bien, quand on est face au reniement de l'apôtre que quand on est face au portrait de ce bon vieux docteur Arnold Tholinx.
Je reviendrai peut-être une autre fois sur cette histoire de peinture flamande car là je dépasse vraiment les mesures du convenable, si j’avais moins râlé au début, j’aurai peut-être pu parler un peu plus de Rembrandt et de Vermeer (ou au moins commencer à le faire), de sa belle "Lettre d’amour", parce qu’elle vaut le coup d’œil cette intrusion, ce tournoiement furieux où luttent sans répit contre les élans mouvementés de notre curiosité, l’absolue immobilité d’une scène parfaitement arrêtée (là encore on retrouve ce déséquilibre caldérien, et sans doute est-ce encore la faute à la lumière, mais cette fois-ci parce que c’est elle qui fige).
Pour cette exposition, je rajouterai juste une chose, c'est qu’elle occupe désormais une place particulière pour moi, car elle a su retarder l’annonce d’une bien mauvaise nouvelle. Et je remercie Rembrandt et Vermeer pour les beaux abris qu’ils m’ont offerts.
La peinture à de cela d’inhumain qu’elle ne trahit pas !