Ne panique pas. Dis toi des trucs rassurants, imagine comment ils sourient eux aussi quand ils rentrent du travail. A leur famille. Leurs amis. Tu dois pas t’inquiéter, pas plus que ça. Ca va bien se passer.
C’était surprenant ce matin, c’est pour ça. Tout à coup, ils viennent chez toi. La manière qu’ils ont eu de se présenter, comment ils sont rentrés, etc. Mais maintenant ça va mieux. Tu vas te détendre un peu.
Quand tu leur a proposé de boire un café et de te suivre à table, ils ont presque immédiatement accepté. Ça prouve qu’ils ne sont pas si mauvais que ça. Tout va redevenir normal très vite. C’est pas des monstres quand même. Ils ont même l’air d’être de braves types quand on les regarde comme ça.
Il y a juste eu ce drôle d’échanges de regard entre eux. C’est tout. Et encore c’est vraiment pas grand chose. Si ça se trouve, c’était juste un simple coup d’œil. C’est vrai que ça t’a fait bizarre, au moment précis où leurs yeux vides se sont croisés, c’était comme si quelque chose de terrible et de profondément angoissant allait se passer. C’est difficile à expliquer.
Et ça ne te quitte plus depuis tout à l’heure. Tu as beau faire semblant de manger calmement tes tartines à table, le beurre sur le pain croustillant, le pot de confiture par ci, pendant qu’eux impassible, attendent de l’autre côté, calmement assis, la tête penché vers le bas parce qu’ils n’osent pas trop te regarder, tu sais très bien que derrière tes grands airs, il y a quelque chose au fond qui te dévore. Ça te ronge tellement que tu retournes tout dans ta tête et que tu vérifies à toute vitesse.
L’un des agents a saisi le journal, il semble minuscule perdu parmi les pages gigantesques.
L’autre se met à fredonner quelque chose.
Tout à coup, ton pied que tu ne retiens plus frappent furieusement le sol.
L’un des agents se lève. Ton pied continue avec le même rythme frénétique.
Il rejoint l’autre agent qui est toujours en train de lire le journal, s’arrête à deux pas de sa chaise, cherche quelque chose à l’intérieur de sa veste.
Ton pied s’arrête, tu recroquevilles brusquement sur ta chaise, instinct de survie ne pouvant t’empêcher de ramener les mains devant ton visage en reversant ton café. Comme pour éviter l’éventuelle balle qu’il te collerait dans la tête.
Mais rien ne vient. Pour l’instant.
Et d’attendre. De constater qu’il ne se passe rien.
D’attendre encore. Le cœur battant à tout rompre.
Pendant un temps incalculable. Complètement perdu quelque part entre tes pensées et le monde extérieur où un homme est probablement en train de te viser ta boîte crânienne avec le canon de son arme
Alors d’attendre terriblement longtemps avec dans la poitrine maintenant un moteur brûlant qui manque d’exploser.
D’attendre pour finalement être sorti de tout ça comme d’un rêve par le bruit de pas dans les escaliers.
Pour finalement baisser tes bras ankylosées quand tu l’entends ariver et se mettre à table : « Ça ne va pas ? tu es tout pâle »
Et toi de la regarder comme perdu. Incapable de dire un mot.
Elle alors :
« Tiens c’est bizarre, c’est toi qui a entouré ça? Pourquoi ?»
Et toi, toujours silencieux, te redresses brusquement pour saisir le journal qu’elle n’a pas eu le temps de te tendre, découvre pris dans une sorte d’ovale rouge mal contrôlé tracée, le mot « prison ».